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l’a toujours connu, et qui demande des formalités. Enfin, voyant qu’il fallait tout au moins attendre, mon cher fils a voulu s’éloigner de Charlotte et tâcher de l’oublier au moins pendant quelque temps. Vous voyez par là les principes et la chasteté de ce jeune homme, élevé dans la solitude par un savant, qui est aussi un philosophe religieux.

» Voyant approcher l’époque de notre rendez-vous annuel, il se proposait de descendre au Refuge ; mais j’ai voulu le surprendre dans son chalet, où Ambroise m’a conduite à l’entrée de la nuit. Il faisait un temps magnifique. Toutes les bonnes senteurs de la forêt et de la prairie montaient vers nous, les ruisseaux chantaient des hymnes de réjouissance, et mon cœur chantait avec eux. J’envoyais des tendresses aux étoiles, qui sont si belles dans ce pays-là ; je suis comme folle toutes les fois que j’approche de mon cher fils exilé. Il ne m’attendait pas encore, il dormait. Les chiens ont fait peu de bruit. Ambroise, qui les connaît, les a vite apaisés, et il est descendu dans cette baraque, qui est une espèce de cave creusée dans le rocher avec un toit de planches au-dessus. Il s’est assuré que Gaston y était seul et l’a doucement averti. Ah ! Charles, si vous aviez entendu le cri de son cœur dans son premier réveil ! Le mien en a été si pénétré que j’ai béni Dieu de me donner de pareils moments de bonheur au milieu de mon infortune.