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rôle en tout ceci que de ma mère, s’il lui plaît de m’en donner, et, si elle ne m’en donne pas, je saurai m’en passer.

— Elle vous en donnera, répondis-je, elle vous démontrera victorieusement son innocence.

— Tais-toi, reprit-il en se levant brusquement, je ne veux plus jamais entendre sortir de ta bouche un mot qui ait rapport à cela ! J’ai fait d’autres réflexions cette nuit en venant ici à travers les brouillards argentés de la Jordanne. Je ne suis pas précisément poétique, et j’étais las comme un chien battu ; mais je me suis senti tendre, et, tout bien considéré, ce qui domine en moi, ce n’est pas l’héroïsme chevaleresque, c’est l’amour pour ma mère. C’est de cela que j’ai vécu jusqu’à présent, et c’était bien assez pour me rendre bon. Je ne veux plus sortir de là ; il n’y a que cela de vrai pour moi. Une mère, vois-tu, c’est plus qu’un père dans mon expérience. Moi, je ressemble à la mienne, je suis sa chair et son sang. J’ai déjà fait dix mille fois plus de mal dans ma courte existence qu’elle n’a pu seulement en imaginer en toute sa vie ; mais j’ai quelque chose de son cœur. J’ignore les grandes vertus, mais j’aime, j’aime quelqu’un, j’aime ma mère de toute mon âme, et je sens que je l’aime aujourd’hui, aujourd’hui que je la vois aux prises avec une persécution d’outre-tombe, plus que je ne l’ai encore aimée. Fût-elle cent fois coupable, je crois que je l’aimerais encore autant… Que le