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la force de lui cacher toujours un pareil secret, toi-même, quand tu seras père de famille, tu sentiras que tu n’as pas le droit, à moins de vouloir imiter notre père à nous, de les priver de leur état civil et de leur héritage. Tu te diras alors qu’un acte de naissance est toujours un titre imprescriptible, quand même le mari jaloux renie l’enfant né dans le mariage. La loi a raison. Si elle voile et consacre certaines impostures de fait, elle protège le grand nombre des enfants contre le caprice des parents. Elle prend le parti du faible sans défense ; c’est une bonne loi malgré ses inconvénients. Il faut se soumettre aux lois fondamentales qui régissent la société, et ce n’est pas à moi de me révolter contre celle-là. Je serais un misérable, un spoliateur et quelque chose comme un fripon à mes propres yeux, si je consentais à te dépouiller de ton héritage. Je ne pourrais plus te regarder en face, et, au lieu de bénir tes enfants, je rougirais devant eux. Non, va ! ce que tu rêves est chimérique. Notre situation est inextricable, si nous essayons d’en sortir sans dommage pour personne. Il faut l’accepter, il faut la subir. Tu sais à présent pourquoi j’en souffre. Laisse-moi souffrir, moi qui sais mieux que toi ce que c’est que le monde. Laisse-moi souffrir seul, je t’en supplie ; j’ai besoin d’être seul. Je m’en vais, mais en t’aimant quand même et en admirant la noblesse et la simplicité de ton caractère. Nous souffrirons tous deux quand tu connaîtras la société, que tu n’as apprise