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mandé à boire, de porter le rafraîchissement dans son jardin, et je m’éloignai un peu. Dès que je vis Roger dans ce petit jardin, qui est derrière l’écurie et où nous pouvions causer librement, je me rapprochai de lui, et, comme il ne me disait rien et faisait semblant de ne pas me voir, je pris un verre et m’assis en face de lui. Même silence.

» — Nous ne sommes donc plus frères ? lui dis-je en choquant mon verre contre le sien.

— Pardonnez-moi, me répondit-il d’un air sombre, sans toucher à son verre ; d’une façon ou de l’autre, nous le sommes du côté le plus sûr.

» Cette parole me sembla odieuse. Jusqu’à ce moment-là, j’avais cru à un mouvement de jalousie filiale, et j’étais prêt à lui tout sacrifier comme à tout supporter de sa part. N’est-il pas un enfant gâté, et ne dois-je pas le gâter aussi ? mais un doute, un outrage à notre mère,… je ne pus endurer cela, je sentis que la colère me gagnait, et je ne répondis pas pour ne pas trop répondre. Il crut que j’acceptais l’imputation, et il reprit, voyant que je souffrais :

» — Après tout, je ne t’en veux pas, à toi ; si tu as du bonheur, ce n’est pas ta faute. Voyons ! qu’as-tu décidé ? Es-tu le fils adoptif de ton M. Alphonse ou le chef de la famille Flamarande ? Choisis-tu l’une ou l’autre position, ou vas-tu cumuler ?

» Je lui répondis ce que je sais et ce que je présume.