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à l’intérieur. Je ne pouvais même pas savoir s’il y avait encore de la lumière chez Roger. Je n’entendais pas le moindre bruit. Ou il s’était couché et endormi, ce qui n’était guère probable, ou il était immobile devant son feu, absorbé dans ses pensées. Je n’osai ni frapper ni lui parler à travers la porte. Je savais bien que ses colères duraient au moins cinq ou six heures. Je n’avais rien à faire que de guetter son réveil pour avoir encore une explication avec lui avant son entrevue avec sa mère. J’avais du temps à attendre, il n’était pas minuit, et sans doute Gaston ne viendrait pas le chercher avant six heures du matin.

Comment occuper ma cruelle insomnie ? Mille pensées confuses éclataient et s’éteignaient comme des étincelles dans mon cerveau. Enfin une idée nette se dégagea. M. de Salcède était le seul dont le secret point d’honneur pût sauver Roger ; lui seul pouvait trouver le moyen de concilier son propre devoir avec le soin de rassurer le fils légitime sur la vertu de sa mère. M. de Salcède était un homme de tête et de cœur. Je lui dirais tout, au besoin je confesserais tout, je m’exposerais à son mépris et à son indignation. Je pouvais bien endurer encore cela pour Roger, puisque j’avais tant fait que de m’avilir pour l’amour de lui. Si, moi déshonoré, il n’était pas sauvé, je n’avais plus qu’à me brûler la cervelle. Pourquoi non ? Privé de son amitié, je ne pouvais plus aimer la vie.