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— Je n’ai jamais dit que mon père fût aliéné. J’ai dit qu’il avait eu des accès de délire et qu’il lui était resté une idée fixe ; cela est arrivé aux gens les plus sérieux et les plus respectables ; cela est même arrivé à de très-grands hommes. Je ne vois donc pas en quoi je manque au respect filial en constatant un fait douloureux et malheureusement trop vrai.

— Pensez-vous que ce fait paraîtra vrai à tout le monde ?

— Certainement, la vérité est la vérité.

— Pas toujours, monsieur Roger. La vérité est souvent ce qui sombre, et c’est l’illusion qui surnage.

— Que veux-tu dire avec tes phrases ? Tu as une drôle de figure ; on dirait que toi aussi… Tiens, je l’ai toujours pensé, tu as un grain !

— Vous avez vu que je mourais de chagrin à Ménouville, et vous vous dispensez… C’est toujours comme cela, on accuse de folie ceux qui souffrent pour se dispenser de les plaindre.

— Voyons ! dit Roger en me prenant la main, tu sais bien que je te plaignais, moi ! me diras-tu aujourd’hui le secret de ta peine ?

— Ni aujourd’hui ni plus tard. Je ne vous le dirai jamais. À quoi bon, d’ailleurs ? Tout n’est-il pas perdu ? N’avez-vous pas reconnu M. Espérance pour votre frère sans me consulter ?

— Ce n’est pas à moi de le reconnaître, et mon