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pressé de le dire à notre mère ; mais Ferras, voyant qu’elle ne le voulait pas, m’a supplié d’attendre, et j’ai attendu. À présent, je n’attendrai plus, je ne veux plus attendre ! J’ai bien vu à Montesparre que ma mère avait une raison pour ne pas m’ouvrir son cœur, et qu’elle en souffrait amèrement. Quelle est cette raison ? Voilà le seul point que j’ignore et qui me tourmente. Dites-moi la vérité, vous autres ; Gaston, dis-la-moi, si tu la sais ; Ambroise, Charles, dites-la-moi, car vous devez la savoir. Je vous somme de me la dire !

Nous gardions tous le silence : Gaston, aussi ému, aussi anxieux, aussi peu renseigné que son frère ; Ambroise, toujours en proie au scrupule de violer son serment ; moi, ne voulant à aucun prix faire entrer le soupçon dans l’âme ingénue des deux enfants.

Roger s’irrita de notre mutisme.

— Allons, s’écria-t-il, je le vois, on craint que je ne regrette mon titre de comte et l’intégralité de ma fortune ! On me suppose lâche, et, parce qu’on me sait frivole et dissipé, on ne craint pas de m’accuser d’un sentiment bas ! On a donc pu persuader cela à ma pauvre mère ! Ah ! quelle cruelle punition de mes premières fautes de jeune homme ! quelle leçon pour mon inexpérience ! Je la mérite apparemment, et je jure qu’elle me profitera ; mais elle est atroce et me brise le cœur…

Le pauvre enfant fondit en larmes, et Gaston,