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cause que les pauvres chrétiens, tourmentés ou navrés de leurs corps dans ces maisons-là, reviennent s’y lamenter en âmes qui demandent prières ou justice. Mais, dans le château de Brilbault, qui n’a jamais été habité, oncques ne s’est fait ni bien ni mal, que je sache.

— Il faut croire, dit la femme, qui, tout en causant, filait lestement sa quenouille, que l’ancien seigneur aura péri au loin, de malemort et en péché ; car vous savez la légende de Brilbault ? Elle n’est pas longue. Un seigneur avait élevé ce manoir jusqu’au faîte, lorsqu’il partit pour la terre sainte avec ses sept fils, dont ni lui ni pas un ne revint. Le château fut vendu et revendu sans être jamais au goût de personne. On pensait qu’il porterait malheur aux familles ; c’est pourquoi, de tout temps, il n’a servi qu’à engranger des récoltes. On y a mis une toiture qui n’est déjà plus bonne ; mais il y a encore deux belles chambres et une salle si grande, si grande, que d’un bout à l’autre bout, deux personnes ne se reconnaissent quasiment point.

— Pouvez-vous me confier les clefs ? dit le marquis. Je souhaiterais voir le dedans.

— Les clefs, les voilà ; mais, mon cher monsieur Sylvain du bon Dieu, n’y allez point ! C’est l’heure où le sabbat va commencer.

— Voyons, quel sabbat, mes braves gens ? dit le marquis en riant ; comment sont faits ces vilains diables.

— Je ne les ai point vus, monsieur, ni ne souhaite de les voir, dit le métayer ; mais je les entends bien, je les entends trop ! Les uns gémissent ; les autres chantent. C’est des rires, et puis des cris, et des jurements et des pleurs, jusqu’au petit jour, que tout s’envole dans les airs ; car c’est bien fermé, et personne d’humain n’y pourrait entrer sans licence ou office de moi.