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— Je ne suis pas folle ! On passe de la haine à l’amour, je le sais par moi-même. On déteste et on adore en même temps. D’ailleurs, tu as avoué que j’avais maintenant de beaux yeux, des bras fins et une sorte de beauté diabolique. C’est comme cela que tu disais dans l’auberge tout à l’heure. Et beaucoup de ces gentilshommes m’avaient offert, la veille, de quoi avoir d’autres jupes de taffetas et d’autres pendants d’oreilles, parce que, laide ou belle, je leur avais tourné la tête. Mais, moi, je ne veux rien d’eux, et rien de toi. J’ai encore de l’argent caché en Berry, et j’irai quand je voudrai. Prends-y garde, Mario ! ta Lauriane me répond de toi. Prends-moi avec toi, ou renonce à elle.

— Puisque tu te confesses si bien de tes mauvais desseins, dit Mario, je t’arrête…

Il allait saisir la bohémienne, décidé à la livrer à la justice du camp ; mais il ne retint d’elle que son écharpe : plus diaphane et plus rapide que les nuées chassées par le vent, elle s’était échappée.

Il la poursuivit, et il l’eût atteinte, car lui aussi savait courir ; mais il avait à peine tourné l’angle de la rue, que le son éclatant des trompettes lui annonça le boute-selle ; c’était le signal du départ pour la bataille.

Mario oublia les folles menaces qui l’avaient ému, et courut rejoindre son père, qui se levait à la hâte.

À la pointe de jour, tout le monde était en marche.

« Le pas de Suse est un défilé qui, sur un quart de lieue de long, n’a pas toujours vingt pas de large et qu’obstruent, çà et là, des roches éboulées. Les tergiversations du prince du Piémont n’avaient eu d’autres fins que de retarder pendant quelques jours la marche de notre armée. L’ennemi avait mis le temps à profit pour se fortifier.