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souliers à l’amble d’un cheval de meunier. Sur ce, allez en paix, mangez bien et dormez mieux, ou sinon, gare aux étrivières !

Le petit Clindor, dont le nom véritable était Jean Fachot (son père était apothicaire à Saint-Amand), reçut la mercuriale de son maître et seigneur avec grand respect, salua et s’en alla sur la pointe des pieds comme un danseur, afin de bien montrer qu’il ne posait pas les talons les premiers, puisqu’il ne les posait plus du tout.

Le vieux domestique, qui restait toujours le dernier, étant allé souper aussi, le marquis dit à son sourdelinier :

— Eh bien donc, mon grand ami, ôtez-moi aussi ce grand feutre et mangez-moi, sans crainte des valets, une bonne tranche de ce pâté et une autre de ce jambon, comme vous faites tous les soirs quand nous sommes tête à tête.

Maître Jovelin bégaya quelques sons inarticulés en signe de remerciement, et se mit à manger, tandis que le marquis sirotait lentement sa clairette, moins par gourmandise que par politesse pour lui tenir compagnie ; car il est bon de dire que, si ce vieillard avait beaucoup de ridicules, il n’avait pas un seul vice.

Puis, pendant que le pauvre muet mangeait, le bon châtelain lui fit, à lui tout seul, la conversation, ce qui était pour le musicien une grande douceur, car personne autre ne prenait cette peine de parler à un homme qui ne pouvait pas répondre ; on s’était habitué à le traiter comme un sourd-muet, en ce sens que, le sachant incapable de redire ce qu’il entendait, on ne se gênait pas pour mentir ou médire à ses oreilles. Le marquis seul l’entretenait avec beaucoup de déférence pour son noble