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chanter eux-mêmes, il s’assoupissait dans une béatitude délicieuse.

Lucilio prenait aussi sa part de ce bonheur de famille, qui lui faisait oublier un peu la solitude de son cœur et l’effroi de son avenir.

L’austère et naïf philosophe était encore en âge d’aimer ; mais il croyait ne devoir plus aspirer à l’amour, et, après en avoir connu plus d’une fois les nobles flammes, il redoutait de tomber dans quelque liaison sensuelle, où son âme ne serait point comprise. Il se résignait donc à vivre de dévouement aux autres et d’oubli définitif et absolu de toute illusion.

Lui qui avait supporté la prison, l’exil, la misère et subi le martyre, il s’exhortait à vaincre le désir du bonheur comme il avait vaincu tout le reste, et sortait toujours de ces méditations apaisé et triomphant, mais triomphant comme on l’est après la question ; un mélange de fièvre et d’anéantissement, l’âme d’un côté, le corps de l’autre, une vie dont l’équilibre est rompu et où l’esprit ne sait plus bien dans quel monde il se trouve.

Lucilio s’exagérait pourtant son malheur. Il était aimé, non par une intelligence, — c’est là ce qu’il lui eût fallu, du moins il le croyait, pour se réconcilier avec sa tragique destinée, — mais par un cœur.

Mercédès était, devant sa science et son génie, comme une rose devant le soleil. Elle en buvait les rayons sans les comprendre ; mais elle était éprise de sa douceur, de son courage et de sa vertu, et son âme tendre était prosternée devant lui. Elle ne s’en défendait pas, car elle s’en faisait une religion et un devoir ; seulement, elle ne disait rien, parce qu’elle avait plus de crainte que d’espérance.