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Elle était presque toujours seule à la Motte-Seuilly, le robuste de Beuvre chassant par tous les temps, aimant à se fatiguer, et n’ayant pas, malgré son affection pour elle, les mille petits soins, les délicates prévenances, les gâteries ingénieuses que le marquis savait mettre au service des femmes et des enfants.

Élevée avec un peu de rudesse, elle avait dû s’efforcer d’être un peu rude à elle-même, surtout depuis que la pensée d’un long veuvage s’était présentée à elle comme une éventualité du milieu et des circonstances où elle se trouvait. Il y avait eu des moments où, sans désirer encore de s’appuyer sur un cœur assorti à l’âge du sien, elle avait senti que son propre courage la froissait, comme une armure trop lourde pour ses membres délicats. Elle s’était endurcie par des élans de piété et de volonté ; elle s’était déjà presque imposé l’habitude de rire quand elle se sentait envie de pleurer ; mais la nature reprenait ses droits.

Seule, elle pleurait souvent malgré elle, appelant malgré elle une société, une affection, une mère, une sœur, un frère, quelque sourire, quelque condescendance qui l’aidât à respirer et à s’épanouir dans un air plus suave que l’ombre froide de son vieux manoir, le lugubre souvenir des Borgia et les récriminations politiques de son père moqueur et froissé.

Il se fit donc un rapide changement en elle à Briantes. Elle y redevint ce qu’elle avait besoin d’être, ce qu’elle ne pouvait cesser d’être que par une tension pénible de sa volonté, ce que la nature voulait encore qu’elle fût : une enfant.

Le marquis, débarrassé avec joie de la pensée d’en faire sa femme, en fit résolûment sa fille, se plaisant même à l’idée qu’elle était si jeune, qu’il pouvait bien,