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de soutenir une conversation banale qui lui eût semblé bien longue.

Ces chants, qui le disposaient au calme dont il avait besoin, produisirent cette fois sur d’Alvimar une excitation fiévreuse.

Il haïssait décidément Lucilio. Il savait son prénom, échappé devant lui au marquis, et d’après cette révélation, M. Poulain, qui était fort au courant des hérésies contemporaines, avait deviné, presque avec certitude, que Jovelin était la traduction libre de Giovellino. La circonstance de la mutilation le confirmait dans ce soupçon, et déjà il s’occupait du moyen de s’en assurer et de lui susciter quelque persécution nouvelle.

D’Alvimar l’y eût volontiers aidé, s’il n’eût été forcé de s’effacer pour quelque temps, et le pauvre philosophe lui était d’autant plus antipathique, qu’il ne pouvait rien contre lui jusqu’à nouvel ordre. Sa belle musique, dont il avait été charmé, le premier jour, lui semblait maintenant une bravade insupportable, et l’humeur qui s’emparait de lui ne le disposait pas à subir patiemment les investigations qu’on lui préparait.

Après le souper, le marquis lui proposa une partie d’échecs dans le boudoir de son salon.

— Je le veux bien, répondit-il, à la condition que nous n’aurons point là de musique. Je ne saurais jouer avec cette distraction.

— Ni moi non plus, certes, dit le marquis. — Serrez votre douce voix dans son étui, mon brave maître Jovelin, et venez voir cette tranquille bataille. Je sais que vous prenez intérêt à une partie bien menée.

On passa dans le boudoir, et l’on y trouva un magnifique échiquier en cristal monté en or, d’excellents siéges et beaucoup de bougies allumées.