anciens costumes, qui se conservaient depuis un siècle dans les familles, et chanter nos prières dans notre langue, que nous n’avions pas oubliée ; car, en dépit des décrets, nous n’en parlions pas d’autre entre nous.
» Nous fûmes entassés comme des animaux sur les galères de l’État, mais, à peine embarqués, on nous demanda le prix de la traversée. La plupart n’avaient rien. On exigea que les riches payassent pour les pauvres.
» Mon père, voyant qu’on jetait à la mer ceux qui ne trouvaient pas de caution, paya sans regret pour tous ceux qui étaient dans notre embarcation ; mais, quand on vit qu’il n’avait plus rien, on le jeta à la mer comme les autres !… »
Ici, la Morisque s’arrêta. Elle ne pleurait pas, mais sa poitrine était serré.
— Détestables coquins d’Espagnols ! Pauvres Morisques ! murmura le marquis.
Puis il ajouta, comme averti par un triste regard de Lucilio :
— Hélas ! la France n’a fait mieux, et la régente les a traités absolument de même !
Mercédès reprit :
— Me voyant seule au monde, sans un dernier, et privée de tout ce que j’aimais, je voulus suivre mon pauvre père ; on m’en empêcha. J’étais jolie. Le patron de la galère me voulait pour esclave. Mais Dieu déchaîna la tempête, et il fallut songer à lutter contre elle. Plusieurs embarcations furent englouties, des milliers de Morisques périrent avec leurs bourreaux.
» La galère qui nous portait fut emmenée par l’orage sur les côtes de France, et vint se briser vers un lieu dont je n’ai jamais su le nom.