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se déconcerter, et il referma sa porte, s’imaginant beaucoup en lui-même, car il avait porté en terre le père Cadet il y avait environ une année.

« Il allait remonter l’escalier de sa chambre, quand on frappa encore. Bon, dit-il, ce pauvre défunt aura oublié de me demander des prières ; il ne faut pas lui en refuser ; et il rouvrit la porte, disant : Est-ce encore vous, père Cadet ?

« — Non, monsieur le curé, c’est moi, fit une voix de femme ; je viens vous souhaiter une bonne nuit.

« — Et à vous pareillement, mère Guite, répondit-il, refermant sa porte ; or, la mère Guite avait été enterrée chrétiennement environ six mois auparavant.

« Mais on frappa encore, et, cette fois, le curé entendit une jeune voix douce qui lui disait : C’est moi, le petit enfant à la Jeanne Bonnine, que vous avez baptisé et enterré le même jour de l’été dernier. Je viens vous souhaiter la bonne nuit, monsieur le curé.

« — Par ma foi, dit le curé, vous me la souhaiterez tant, qu’elle sera nuit blanche. Si vous avez des honnêtetés à me faire, ne pouvez-vous venir tous ensemble ? ce sera plus tôt fini !

« Aussitôt le curé vit clairement, devant sa porte, une douzaine de gens qu’il avait enterrés dans l’année, hommes, femmes, vieux et jeunes : le père Chaudy, qui était mort en moisson et qui tenait encore sa faucille ; la Jeanne Bonnine, qui était morte en couches et qui tenait son pauvre nourrisson sur son bras ; et ainsi des autres, voir la vieille Guite, qui était morte de la grand’peur pour avoir vu l’homme de feu rouge lui faire reproche et menace, un soir qu’elle ramassait du bois mort dans la taille.

« — Ça, mes chers paroissiens, dit le hardi curé, je suis aise de vous voir debout ; êtes-vous toutes en paradis, mes bonnes âmes ?

« — Nous nous mettons en route sur l’heure, monsieur le curé, répondit la Jeanne ; nous étions en peine et en souffrance pour nos péchés, sous la garde d’un esprit méchant qui nous faisait danser toutes les nuits sous les arbres ; mais vous nous avez si bien battus dans le bois du Chassin, que notre compte a été acquitté. Ah ! que vous frappez rude, monsieur le curé ! Dieu vous le rende, pour le bien que vous avez fait à nos âmes !

« — C’est bien, mes enfants, répondit le curé, Bon voyage et priez pour moi !

« Il s’en alla dormir et jamais n’avait si bien dormi, » dit le narrateur en finissant.

GEORGE SAND

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