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apprit de lui le sorcelage. Ils ne se couchaient point de toute la nuit, et s’en allaient dans les champs et sur les chemins, et on entendait des voix qu’on ne connaissait point et un sabbat abominable.

« Et le sabotier nous mena tous de jour dans le patural des bœufs et nous fit voir la chose qui leur donnait des maladies. C’était un crapaud que celui que l’on avait vu en levrette blanche avait arrangé avec des charmes et des empoisonnements sous une motte de gazon. Et quand les bœufs passaient à côté, ils commençaient de souffler et de maigrir.

« Alors Martinet devint grand savant, comme chacun sait. Il eut les plus beaux élèves du pays et fut appelé comme médecin dans tout le canton. C’est comme ça et non autrement qu’il a pu vous payer sa ferme et se retirer du grand dommage où les mauvaises choses l’avaient mis.

« Seulement, Martinet eut des ennuis de sa femme qui ne voulait point qu’il se donnât au sorcelage et qui faisait mauvaise mine au grand sabotier. Un jour, il quitta la maison en disant à Martinet : Si l’affaire que nous avons ensemble tourne bien, je vous le ferai assavoir demain matin, d’une manière que vous comprendrez, vous tout seul.

« Et, de vrai, le lendemain matin, comme nous étions à manger la soupe, il se fit un grand air de vent qui donna une bouffée dont la maison trembla, et un coq noir entra dans la chambre et se jeta dans le feu où il fut tout brûlé en un instant.

« La femme du logis voulait sauver le coq, mais Martinet la retint par le bras en lui disant : N’y touché pas ! et elle en resta toute épeurée.

« De même qu’une autre fois, comme le sabotier était là, et qu’elle venait de tirer ses vaches, son lait devint tout noir et on fut obligé de le jeter. Dont elle pleura, maudissant le sabotier. Mais son mari lui dit : Rends-toi à lui, et une autre fois, offre-lui de ton lait, de ton fromage et de tout ce qui est ici. Ce qu’elle fit par la suite avec grande crainte et honnêteté.

« Voilà comment la grand’bête a été chassée de la métairie et aussi l’homme sans tête, qui se promenait à côté sur le vieux chemin de Verneuil, et la chasse à baudet qui passait si souvent au-dessus de la maison. Seulement, Martinet a eu bien des peines dans son corps pour soumettre toutes ces mauvaises choses. Il a été souvent battu par les follets et ils lui ont enlevé de la tête et fait perdre plus de dix chapeaux et bonnets. Et enfin, il a eu le mal d’yeux bien souvent, à cause de la boule de feu qui se mettait devant lui en voyage sur le cou de sa jument. »

GEORGE SAND

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