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retrouver tout de suite, c’est tant pis pour elles : elles erreront un an, s’il le faut, en courant sur leur tranche, ce qui les fatigue beaucoup, et il leur est défendu de se reposer autrement que debout, tant qu’elles n’ont pas regagné le lieu où elles ont permission de se coucher.

Nous avons vu quelquefois de ces pierres appelées pierres-caillasses ou pierres-sottes. Ce sont de vraies pierres de calcaire caverneux, dont les trous nombreux et irréguliers donnent facilement l’idée de figures monstrueuses. Quand les inspecteurs des routes les rencontrent à leur portée, ils les font briser et elles n’ont que ce qu’elles méritent.

Nous le voulons bien, quoique ces pauvres pierres ne nous aient jamais fait de mal. Cependant on assure que si on ne se dépêche de les briser et de les employer, elles quittent le bord du chemin où on les a rangées et se mettent, de nuit, tout en travers du passage, pour faire abattre les chevaux et verser les voitures. Moralité : le voiturier ne doit pas se coucher et s’endormir sur sa charrette.

Quant à vous, esprits forts, qui demandez pourquoi cette grosse pierre se trouve dans telle haie ou sur le bord de tel fossé, si l’on vous répond d’un air mystérieux : Oh ! elle n’est pas pour rester là ! Sachez ce que parler veut dire, et ne vous amusez pas à la regarder : vous pourriez la mettre de mauvaise humeur contre vous et la retrouver, le lendemain, dans votre jardin, tout au beau milieu de vos cloches à melons ou de vos plates-bandes de fleurs.

GEORGE SAND

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