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LE COMPAGNON

divin comme moyen, comme secours et comme égide ; il est petit et malheureux comme but et comme unique fin.

Le Corinthien n’était point égoïste, dans l’acception mesquine et laide qu’on donne à ce vice. Comme ami, il était tendre et dévoué ; comme compagnon, il s’était toujours montré serviable et généreux ; comme amant, il n’était ni ingrat ni superbe ; il restait respectueux et repentant dans son cœur à l’égard de la Savinienne. Mais son âme était plus impétueuse que forte, son souffle plus avide que puissant. Il portait dans son sein toutes les dangereuses curiosités, tous les insatiables désirs de la jeunesse. Ce fut donc un malheur pour lui de rencontrer l’amour de Joséphine au milieu du développement de son être, et à cette heure de la vie où nous recevons des circonstances une impulsion décisive sans la force nécessaire pour l’apprécier, la diriger ou la combattre. Peut-être le vertueux et solide Pierre Huguenin n’eût-il pas été mieux trempé pour une pareille épreuve. Peut-être n’eût-il pas aimé d’une manière plus exquise, si, au lieu de rencontrer une âme apostolique comme celle d’Yseult, il eût été livré aux mêmes séductions que son ami. Quoi qu’il en soit, le Corinthien se corrompit rapidement dans son bonheur, et la pauvre Joséphine, tout en y portant l’abandon et l’ingénuité de sa douce nature, fut pour lui la pomme fatale qui, du jardin céleste de l’adolescence, devait l’envoyer en exil sur le désert aride de la vie positive.

Achille avait quitté momentanément le château. Il avait trouvé une Vente plus facile à organiser du côté du Poitou, et il s’était rendu à l’appel de quelque confrère aussi acharné que lui au maintien de la Charbonnerie prête à périr. Il devait revenir néanmoins compléter et consacrer celle de Villepreux, à laquelle il ne renonçait pas le moins du monde, et qu’il voulait baptiser, pour plaire à mademoiselle de Villepreux, la Jean-Jacques-Rousseau.