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LE COMPAGNON

pas à développer tous les germes d’intelligence que j’aperçois chez eux ?

— Certainement, monsieur le comte, dit Achille, votre conduite particulière est généreuse et franchement libérale ; mais pourquoi ne voulez-vous pas qu’une certaine initiation au mouvement politique soit un moyen d’éducation pour les prolétaires intelligents et courageux ? Croyez-vous donc que Pierre Huguenin ne comprenne pas aussi bien que moi ce que nous faisons ?

— Ce n’est peut-être pas beaucoup dire, répondit le comte en riant, et encore n’en est-il pas là ; la preuve, c’est qu’il vous repousse, et se fait prier.

Quelques jours après cet entretien, Yseult, se promenant dans le parc avec Achille, et parlant précisément de Pierre Huguenin, vit celui-ci se diriger du côté de l’atelier.

— J’ai envie de m’adresser à lui, dit-elle, et de voir si je réussirai mieux que vous. Je serais fière de faire cette conversion, et de pouvoir l’annoncer ce soir à mon grand-père.

— Je crains bien que M. le comte ne se soucie plus d’aucune conversion politique, répondit Achille qui était lui-même un peu découragé ce jour-là.

— Vous vous trompez, monsieur, répondit Yseult qui ne cessait de voir dans son aïeul un patriarche de la révolution ; je connais mieux que vous ses dispositions. Il a de grands accès de tristesse ; mais une bonne parole, un sentiment généreux, le moindre acte de courage et de patriotisme, tenez ! l’adhésion de Pierre Huguenin à vos projets, suffirait pour lui rendre ce noble enthousiasme que nous lui connaissons. Voulez-vous appeler Pierre pour que je lui parle ? Me le conseillez-vous ?

— Pourquoi pas ? répondit Achille dont l’amour-propre était un peu intéressé à vaincre les refus superbes de l’artisan. L’éloquence d’une femme peut faire des miracles !