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DU TOUR DE FRANCE.

fallait fuir ou succomber. — Croyez-vous, lui dit-elle avec effroi, que nous ne pourrions pas reprendre notre route ?

— Et où est-elle, notre route ? dit le Corinthien avec une rage secrète.

La marquise vit qu’il souffrait : elle fut vaincue.

— Au fait, dit-elle, nous ne ferions que nous égarer encore davantage. Il vaut mieux patienter ici jusqu’au jour. Les nuits sont si courtes dans cette saison !

Elle fit sonner sa montre. Il était minuit. Et elle ajouta pour lui arracher une réponse :

— Il fera jour dans deux heures, n’est-ce pas ?

— Le jour viendra bientôt, soyez tranquille, répondit Amaury d’une voix désespérée.

Ce son de voix fit tressaillir Joséphine. Un nouveau silence succéda à ce muet emportement d’Amaury. Le cheval hennissait en signe d’ennui et de détresse. Les grenouilles coassaient dans le marécage.

Tout à coup Amaury vit que Joséphine pleurait. Il se jeta à ses pieds ; et deux autres heures s’écoulèrent dans une ivresse si complète, qu’ils oubliaient tout, et le monde, et les anciennes amours, et l’avenir, et la peur, et le jour qui se levait, et le cheval qui s’était remis en route.

Un cri de terreur échappa à la marquise, lorsqu’elle vit, à la clarté de l’aube, la tête d’un homme s’avancer à la portière. Cette frayeur était bien naturelle, mais elle arracha le Corinthien comme d’un rêve. Et lorsqu’il y pensa depuis, il s’imagina que la marquise aurait eu moitié moins d’effroi et de honte si elle eût été surprise dans les bras d’un gentilhomme.

Quant à lui, il eut aussi un sentiment de confusion devant le témoin de son bonheur. C’était Pierre Huguenin.

— Rassurez-vous, madame la marquise, dit celui-ci en voyant la pâleur effrayante et l’air égaré de Joséphine. Je