Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 2.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
66
LE COMPAGNON

duira de lui-même, à moins qu’il ne soit dans le même cas que moi.

— Précisément c’est un cheval qui arrive de Paris ; il ne saurait nous tirer d’affaire.

— Je crois qu’il faut aller encore tout droit.

— Non, non, il faut quitter la grande route et entrer dans la lande. Nous avons perdu le chemin ; mais nous le retrouverons par là.

Rien n’était plus difficile que de se diriger dans cette lande sur des voies de charrettes tracées dans tous les sens, toutes semblables et n’offrant pour indication au voyageur que quelques accidents dont les gens du pays avaient seuls l’habitude. Quoique Joséphine eût parcouru souvent ces vagues sentiers, elle ne pouvait être assez sûre de son fait pour ne pas prendre certain buisson ou certain poteau pour celui qu’elle croyait reconnaître. En outre, la nuit était tout à fait close ; des nuages légers voilaient la faible clarté des étoiles, et insensiblement la brume blanche qui dormait sur les flaques d’eau se répandit sur tous les objets, et ne permit bientôt plus d’en discerner aucun.

Cette marche incertaine dans le brouillard n’était pas sans dangers. La Sologne, cette vaste lande qui s’étend au travers des plus fertiles et des plus riantes contrées de la France centrale, est un désert capricieusement traversé de zones desséchées où fleurissent de magnifiques bruyères, et de zones humides où languissent, parmi les joncs, des eaux sans mouvement et sans couleur. Une végétation grisâtre couvre ces lacs vaseux, plus dangereux que des torrents et des précipices. Nos voyageurs avaient erré longtemps dans ce labyrinthe sans trouver une issue. Le cheval, trompé par des apparences de chemin tracé, s’engageait dans des impasses, au bout desquelles, arrêté par les fondrières, il lui fallait revenir sur ses pas. De