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DU TOUR DE FRANCE.

Mais enfin il n’est permis à aucun de nous de se jouer de ses promesses et de nos secrets.

— Rassurez-vous et apaisez-vous, monsieur Lefort, répondit Pierre. Personne ne m’a donné cette carte. Je l’ai trouvée au fond d’un tiroir ; et si quelqu’un m’a révélé les secrets de l’association, c’est vous, qui venez de m’en dire beaucoup plus long que je n’en demandais.

— Ah çà, vous vous jouez donc de moi ? dit Achille avec des yeux brillants de dépit et un ton qui semblait vouloir le prendre un peu plus haut que de coutume.

— Tout doux, mon maître, répondit Pierre. Reprenez cette carte : elle ne peut me servir à rien, et vos secrets ne me paraissent pas très-compromis par la découverte de cette babiole. Amusez-vous de ces choses ; je n’ai pas le droit de m’en moquer, moi qui suis lié par des puérilités du même genre à une société plus secrète, plus vaste, plus solide et plus croyante que la vôtre.

— Vous semblez me donner des leçons, maître Pierre, reprit Achille tout à fait fâché. Quelque estime que j’aie pour vous, je ne vous reconnais pas ce droit. Si vous étiez ignorant et grossier comme la plupart de vos pareils, je pourrais me placer, par le silence de la pitié, au-dessus de vos mauvaises plaisanteries. Mais du moment que je vous regarde comme mon égal par l’éducation et le raisonnement, je vous déclare que je ne serai pas plus patient avec vous que je ne le serais avec un de mes camarades.

— Monsieur Lefort, répondit Pierre avec le plus grand calme, je vous remercie des expressions flatteuses dont vous accompagnez vos menaces ; mais j’y vois percer l’orgueil de l’homme qui met son gant avant de donner un soufflet. Allons, je serai plus fier que vous, je vous tendrai la main en vous déclarant que je regrette de vous avoir blessé.

— Pierre, dit Achille en pressant affectueusement la