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LE COMPAGNON

de me surveiller, de me sonder ? Avait-on des doutes sur mon compte ? Vraiment, je crois faire un rêve ! Parlez donc, répondez-moi !

— Si nous ne sommes pas cousins, nous sommes en chemin de le devenir, répondit Pierre, qui en voyant la stupéfaction naïve d’Achille, avait bien de la peine à s’empêcher de rire. C’est le comte de Villepreux qui m’a confié ce signe, afin que je puisse m’entendre plus vite avec vous.

— Mais si vous n’êtes pas initié, reprit Achille de plus en plus étonné, ceci est contraire à toutes les règles.

— Apparemment, poursuivit Pierre, qu’il a le droit d’agir ainsi.

— Mais point du tout ! s’écria l’autre. Il a beau être affilié à la Vente Suprême, il ne lui est pas permis de confier ainsi nos signes et nos secrets. Je vois bien que le vieux poltron jette le manche après la cognée, ou que la peur lui trouble la cervelle au point de ne plus savoir ce qu’il fait ! Je devais m’attendre à quelque chose comme cela, après tout ce qu’il m’a dit hier. La nouvelle du Trocadéro l’a démonté tout à fait ; il croit que tout est perdu. Il avait déjà assez de souci au commencement de la guerre. Il n’est venu se réfugier dans son vieux donjon que pour se tenir à l’écart des événements, et maintenant il voudrait se cacher avec ses chats-huants dans les fentes de ses murs armoriés ! Voilà les hommes ! quand ils ont eu un moment de courage, ils ont un redoublement de lâcheté tout aussitôt. Ma foi, je ne comprends pas la folie d’un comité directeur qui espère tirer quelque chose de ces vieux nobles ! Comme s’ils pouvaient oublier la Terreur, et comme s’ils pouvaient faire autre chose que de gâter nos plans et déjouer nos manœuvres ! Pardon, maître Pierre, je ne dis pas cela par méfiance de vous. Je vous sais aussi loyal, aussi discret que le meilleur d’entre nous.