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LE COMPAGNON

était grande de se voir loué et plaint à la fois comme un apôtre et comme un fou.

Une seule chose lui donna la force de retourner au travail, c’est-à-dire de reprendre patiemment le joug de la vie : ce fut le souvenir de l’expression qu’avait Yseult en le quittant. Il lui sembla que la surprise, le désappointement, la consternation qu’il avait éprouvés en cet instant remplissaient l’âme de la noble fille comme la sienne. Il avait éprouvé, en rencontrant son dernier regard, quelque chose de solennel comme un engagement éternel, on comme un éternel adieu. Son âme, en se reportant à cette mystérieuse commotion, se sentait abreuvée de joie et de douleur en même temps. Il reconnaissait, à cette heure, qu’il aimait passionnément, et il ignorait si les tressaillements de son âme étaient de désespoir ou de bonheur.

CHAPITRE XXV.

Au moment où Pierre reprenait le chemin de son atelier, le vieux valet de chambre du comte le rappela pour le prier de réparer la table sur laquelle son maître venait de déjeuner. C’était un joli petit meuble en marqueterie, avec une tablette pour manger, une coulisse pour écrire, et un tiroir au-dessous. Pierre revint se mettre philosophiquement à l’ouvrage, et, le valet de chambre l’aidant, ils renversèrent la table pour examiner la cassure. Ils vidèrent le tiroir ; le valet recueillit dans une corbeille un paquet de journaux et de vieux papiers, et Pierre prit la table sur son épaule pour l’emporter à l’atelier.

Quand il eut fini de la raccommoder, il secoua le tiroir pour le nettoyer avant de le remettre ; et alors il aperçut une carte engagée dans une fente et sortant à demi. Il l’en tira tout à fait, et, au moment de la jeter comme une