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LE COMPAGNON

CHAPITRE XXIII.

Il est des circonstances fort simples qui se trouvent liées dans le souvenir de chacun de nous, à des crises de la vie intellectuelle, à des transformations de l’être moral ; et, quelque assujettie que soit notre existence à la réalité la plus froide, il n’est aucun de nous qui n’ait eu son heure d’extase et de révélation, où son âme s’est retrempée, où son avenir s’est dévoilé comme par miracle. Ce monde intérieur que nous portons en nous est plein de mystères et d’oracles profonds. Nous y lisons plus ou moins vaguement ; mais il est toujours une époque, une heure, un instant peut-être, où soit dans la foi en Dieu, soit dans la méditation des choses sociales, soit dans l’amour, une clarté divine traverse comme l’éclair les ténèbres de l’entendement. Chez les natures élevées et contemplatives, cette crise est solennelle, et revient, à toutes les grandes phases de la destinée, poser une limite décisive entre les détresses de la veille et les conquêtes du lendemain. Le métaphysicien et le géomètre, perdus dans la recherche des abstractions, ont eu leurs révélations soudaines et merveilleuses, aussi bien que le fanatique religieux, aussi bien que l’amant et le poëte. Comment l’homme de charité et de dévouement, dont le cœur et le cerveau travaillent à découvrir la vérité, ne serait-il pas aidé dans sa tâche par cet esprit du Seigneur qui, bien réellement, plane sur toutes les âmes, traversant de son feu divin la voûte des cachots et des cellules, le toit des ateliers et des mansardes, aussi bien que le dôme des palais et des temples ?

Pierre Huguenin s’est souvenu toute sa vie avec une émotion profonde de cette heure de sommeil sur les copeaux de l’atelier. Il ne se passa pourtant rien que de