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DU TOUR DE FRANCE.

votre père est savant, qu’il est sage et généreux ; mais je suis peut-être trop fou et trop malade pour qu’il me délivre l’esprit d’un souci cruel. D’ailleurs j’ai un meilleur conseil : je l’interroge souvent, et j’espère qu’il finira par me répondre. Ce conseil, c’est Dieu !

— Qu’il vous soit donc en aide ! répondit Yseult ; je le prierai pour vous.

Et elle s’éloigne, après l’avoir salué timidement ; mais, en se retirant, elle s’arrêta et se retourna plusieurs fois pour s’assurer qu’il ne retombait pas dans le délire. Pierre, voyant cette sollicitude délicate et franche, se leva pour la rassurer, et reprit le chemin de l’atelier. Mais, dès qu’il eut vu Yseult rentrer dans le château par une autre porte, il revint sur ses pas, et ramassa quelques-unes des fleurs qu’elle avait laissées sur le gazon. Il les cacha dans son sein comme des reliques, et alla se mettre à l’ouvrage. Mais il n’avait pas de force. Outre qu’il était à jeun, n’ayant ni l’envie ni le courage d’aller déjeuner, il était brisé dans tous ses os ; et, si l’ivresse d’un irrésistible amour ne fût venue le soutenir, il eût déserté l’atelier.

— Qu’as-tu ? lui dit le père Huguenin, qui remarqua l’altération de ses traits et la mollesse de son travail. Tu es malade ; il faut aller te reposer.

— Mon père, répondit le pauvre Pierre, je n’ai pas plus de courage aujourd’hui qu’une femme, et je travaille comme un esclave. Laissez-moi dormir un peu sur les copeaux, et je serai peut-être guéri quand vous me réveillerez.

Amaury, le Berrichon et les apprentis lui firent un lit de leurs vestes et de leurs blouses, en lui promettant de regagner le temps à sa place, et il s’endormit au bruit de la scie et du marteau qui lui était trop familier pour interrompre son sommeil.