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PROCOPE LE GRAND.

tant de butin que la Bohême se trouva un instant riche et l’armée pourvue de tout. Le bétail enlevé sur les terres ennemies était si considérable, qu’on achetait à cette époque en Bohême quinze bœufs pour deux écus.

Mais Koribut était tombé dans la disgrâce de ces Calixtins qui l’avaient appelé quelques années auparavant contre le gré des Taborites. On ne sait pas bien les causes véritables de cette inconstance, mais on peut présumer que Koribut, qui était un rude soldat fort aimé désormais des Taborites, avait plutôt abandonné que repris ses projets de royauté, et que les Calixtins lui en faisaient un crime et une honte. S’il en est ainsi, leur conduite à son égard fut hypocritement odieuse. Ils l’accusèrent d’avoir négocié sa réconciliation avec Martin V, et de vouloir trahir la Bohême pour s’en faire le souverain catholique et absolu. En conséquence, ils publieront que ses mœurs brutales et ses intrigues criminelles avec Rome le rendaient incapable et indigne de gouverner ; et l’ayant affublé par dérision d’un capuchon de moine, ils l’enfermèrent dans un couvent et ensuite dans la grande tour du château de Prague. Ce coup d’État souleva une grande indignation parmi les seigneurs catholiques qui voulaient qu’on respectât le sang royal, et qui regardaient peut-être la monarchie tempérée de Koribut comme un contre-poids bientôt nécessaire au despotisme du juste-milieu Calixtin. Cette guerre de religion était aussi une guerre de castes. L’opinion calixtine réunissait le plus grand nombre de gentilshommes, caste qui occupait entre les seigneurs et le peuple une place analogue à celle de la bourgeoisie dans nos dernières révolutions. Cette opinion eut ses savants et ses martyrs, ses doctrinaires et ses girondins ; mais en général elle n’eut pas le plus beau rôle dans toute cette guerre ; elle fit avorter tous les grands desseins de