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DU TOUR DE FRANCE.

rage que de franchise ? N’ayant rien fait, comme je le présume, pour égarer l’esprit de ma fille, ferez-vous tout votre possible pour la ramener à son devoir et à la soumission qu’elle me doit ?

— Vous allez bien vite, monsieur le comte, répondit Pierre, et vous avez de ma force d’âme une bien haute opinion apparemment. Je vous en remercie humblement, mais je voudrais savoir pourquoi vous refuseriez la main de votre fille chérie à l’homme que vous estimez au point de lui demander d’emblée un effort de vertu que vous n’oseriez attendre d’aucun autre.

Cette question embarrassante fut la seule vengeance que Pierre voulut tirer de l’hypocrisie du vieux comte. Celui-ci ne pouvait y répondre qu’avec des arguments puérils, et il s’embarqua dans des considérations si mesquines et si vulgaires que Pierre en eut pitié. Il invoqua des engagements pris d’avance pour l’établissement d’Yseult. Pierre savait bien qu’il mentait, et qu’il n’aurait pas promis sa petite-fille sans qu’elle y eût consenti. Il parla du monde, de l’opinion, des préjugés ; du malheur, de l’abandon, et du mépris qui seraient le partage de sa fille, si elle écoutait la voix de son cœur sans consulter ce monde absurde et injuste auquel il fallait, cependant, prêter foi et hommage, sous peine de n’avoir plus une pierre où reposer sa tête. Yseult était une enfant : elle se repentirait d’avoir cédé à une inspiration romanesque, le jour où il serait trop tard pour en revenir ; et Pierre, à son tour, se repentirait amèrement ; il serait livré à l’humiliation, au remords, à la douleur mortelle de voir souffrir un être qui se serait sacrifié pour lui.

— En voilà bien assez, monsieur le comte, dit Pierre, pour motiver votre crainte et votre refus. Tout cela ne serait rien, si je n’étais décidé d’avance à vous donner gain de cause ; car j’ai une plus haute idée que vous de