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DU TOUR DE FRANCE.

nière main à son œuvre. Il avait ajusté ses marches bien balancées sur un palmier élégant, fragile à la vue, solide en réalité. La rampe était posée ; et, à la lueur de la lampe, elle reflétait sur la muraille ses légers enroulements et ses fortes nervures. Pierre, à genoux sur la dernière marche, rabotait avec soin les moindres aspérités ; son front était inondé de sueur, et ses yeux brillaient d’une joie modeste et légitime. Le Corinthien était monté sur une échelle ; à quelque distance, et plaçait encore quelques chérubins dans leurs niches. Il travaillait avec la même activité, mais non avec le même plaisir que son ami. Il y avait dans son ardeur comme une sorte de rage, et à chaque instant il s’écriait en jetant son ciseau sur les dalles : — Maudites marionnettes ! quand donc en aurai-je fini avec vous ? Puis il reportait de temps en temps ses regards sur cette marque de craie qui était restée au panneau du passage secret, et qu’il ne pouvait pas s’expliquer.

— Moi, j’ai fini ! s’écria Pierre tout d’un coup en s’asseyant sur la marche qui joignait l’escalier à la tribune ; et j’en suis presque fâché, ajouta-t-il en s’essuyant le front : je n’ai jamais rien fait avec tant d’amour et de zèle.

— Je le crois bien, répondit le Corinthien avec amertume ; tu travailles pour quelqu’un qui en vaut la peine.

— Je travaille pour l’art, répondit Pierre.

— Non, répondit brusquement le Corinthien, tu travailles pour celle que tu aimes.

— Tais-toi, tais-toi, s’écria Pierre effrayé, en lui montrant la porte du cabinet.

— Bah ! je sais bien qu’à cette heure elles prennent le thé ! répondit le Corinthien. Je sais de point en point leurs habitudes. Dans ce moment-ci, mademoiselle de Villepreux arrange ses tasses de porcelaine, en parlant politique ou philosophie avec son père, et la marquise bâille