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DU TOUR DE FRANCE.

Clicot sur les bras, et son frère qui caracolait à la portière en dévorant des yeux la piquante provinciale, elle sentit qu’elle jouait un singulier rôle, et prit de l’humeur contre tout le monde. La comtesse était sèche et nerveuse : forcée d’amener la marquise à son château, de lui en faire les honneurs, et de la présenter à d’autres illustres dames qu’elle avait convoquées pour fêter et caresser l’héritière de Villepreux, elle dissimula si peu son ennui et son dédain que la pauvre Joséphine se sentit mourir de honte et de crainte. Cependant les hommages dont elle fut l’objet de la part des hommes, car la jeunesse et la beauté trouvent toujours grâce et protection du côté de la barbe, lui rendirent quelque assurance ; et peu à peu la rusée, amorçant par sa gentillesse riches et pauvres, blondins et grisons, se vengea à outrance des mépris de leurs femelles, On avait préparé un petit bal pour le soir, comptant qu’Yseult, tenant le piano, en serait la reine d’une certaine façon : la dame du lieu voulut renvoyer les violons et abréger la soirée en se disant malade. Mais la faction des hommes l’emporta. Le jeune frère se mit en révolte, et ses compagnons firent serment de ne pas laisser partir les jolies femmes. On grisa tous les cochers, on ôta les roues des voitures ; il n’y eut que les équipages des douairières qui furent respectés ; encore leurs vieux époux se firent-ils beaucoup gronder avant de d’arracher à la contemplation des belles épaules de Joséphine.

Elle resta donc au salon avec cinq ou six jeunes femmes de moindres hobereaux, qui s’amusaient pour leur compte et ne songeaient pas à l’humilier. Mais à mesure que la nuit s’avançant, les hommes, en passant de la contredanse au buffet, s’animèrent comme des gens qui ont couru la chasse toute la journée, et prirent des façons tout à fait anglaises, dont Joséphine commença à s’effrayer. Il y avait autour d’elle une lutte entre le désir brutal et un