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LE COMPAGNON

dans ses mains pendant la lecture de la lettre. C’est pour moi que tu dis tout cela ; car toi, tu es aussi vertueux que Romanet, et tu serais aussi calme que lui dans le malheur. Mais si c’est pour me rattacher à la marquise que tu vantes le pardon des injures, tu n’y réussis nullement ; les nouvelles que contient cette lettre bouleversent tous mes projets et renouvellent toutes mes idées. Que s’est-il donc passé dans l’esprit de la Savinienne ? Que signifie aujourd’hui sa conduite ? Que veut-elle faire ? Sur quoi compte-t-elle ? Je veux savoir tout cela. Tu dois avoir reçu une lettre d’elle, et tu ne me l’as pas montrée. Je veux la voir !

— Tu ne la verras pas, répondit Pierre. Non, non ! l’amant de la marquise des Frenays ne lira pas les nobles plaintes de la Savinienne. Qu’il te suffise de savoir l’effet de ton silence et du mien ; car je ne lui ai point écrit non plus : je ne pouvais plus la tromper, et je ne voulais pas l’éclairer. Il me semblait toujours que tout n’était pas perdu, et je différais de jour en jour, espérant que tu reviendrais à elle.

— Enfin quel effet a produit ton silence ? Parle !

— Elle a deviné la vérité ; et, se disant qu’elle n’était plus aimée, qu’elle ne l’avait peut-être jamais été, se voyant délaissée, abandonnée à la misère, elle a voulu, du moins, mettre sa conscience en paix, et ne rien accepter davantage du Dignitaire. Je te citerai un seul passage de sa lettre :

« J’ai bien souffert assez longtemps avec Savinien d’avoir un désir dans le cœur. Je ne veux pas souffrir d’un regret toute ma vie avec Romanet ; ce serait tout aussi coupable. Je ne suis pas sans remords pour le passé : je n’en veux plus dans l’avenir. J’aime mieux toute autre espèce de malheur que celui-là. »

— Pauvre sainte femme ! dit le Corinthien d’une voix