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DU TOUR DE FRANCE.

vail et son talent, et que ce n’est pas assez pour soutenir une famille. Je viens donc vous prier instamment de vous enquérir de la position de la Mère, et de lui rendre tous les services dont elle aura besoin. Vous pouvez disposer de tout ce que j’ai, pourvu qu’elle ne le sache pas ; car l’idée de la faire souffrir et de l’humilier par mon attachement me fait souffrir et m’humilie moi-même. Adieu, mon cher Pays. Vous ne devez pas trouver mauvais que je vous parle succinctement de toutes ces choses, et vous devez comprendre que cela ne m’est pas facile. Avec le temps, je serai plus raisonnable, s’il plaît à Dieu.

« Il me reste à vous embrasser.

« Votre ami et pays sincère,
« Romanet le Bon-Soutien D∴ G∴ T∴ de Blois. »


La simplicité de cette rédaction, jointe à l’idée que Pierre se faisait, avec raison, de la profonde douleur du Bon-Soutien, l’impressionna tellement, qu’il sentit couler ses larmes.

— Amaury, Amaury ! s’écria-t-il, que nous sommes petits, nous autres, avec nos lectures et nos phrases, devant une telle force d’âme et une générosité si peu emphatique ! Avec le temps, je serai plus raisonnable, s’il plaît à Dieu ! Il croit manquer de courage à l’heure où il en montre un sublime ! Hommes de peu de foi que nous sommes, nous ne saurions pas souffrir avec cet héroïsme. Nous nous répandrions en plaintes, en murmures ; nous aurions de la colère, de la haine et des idées de vengeance…

— Tais-toi, Pierre, je te comprends de reste, s’écria le Corinthien en relevant sa tête qu’il avait tenue cachée