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DU TOUR DE FRANCE.

rêve, parlant par énigmes, et me montrant dans l’avenir quelque chose que je ne comprends pas. Il se sentit pris de vertige, et pressa son front dans ses mains, comme s’il eût craint qu’il ne vînt à éclater.

Ne pouvant résister à l’agitation qui était en lui, entraîné comme par l’aimant, il se glissa dans l’ombre sur les traces de mademoiselle de Villepreux, afin de la voir plus longtemps flotter devant lui comme une pâle vision, ou du moins de respirer l’air qu’elle venait de traverser. Il arriva ainsi jusqu’au gazon découvert qui s’étendait devant la façade du château ; et, s’arrêtant dans les derniers massifs, il la vit rentrer dans le salon. Le temps étant magnifique et la danse fort animée, on avait ouvert les croisées, et, de sa place, Pierre pouvait voir passer la walse et voltiger la marquise, entourée d’adorateurs, parmi lesquels se trouvaient des jeunes gens de bonne maison dont les façons galantes étaient mêlées de cette légère dose d’impertinence qui plaît aux femmelettes. Joséphine était enivrée de son succès ; il y avait longtemps qu’elle n’avait eu l’occasion d’être belle et qu’elle ne s’était vue admirée ainsi. Elle était comme un phalène qui tourne et folâtre autour de la lumière. Yseult, pour reposer les personnes qui avaient joué tour à tour du violon, se remit au piano. Pierre se plaça de façon à la voir. Ses yeux nageaient dans une sorte de fluide, où d’autres images que celles de la réalité semblaient se dessiner devant elle. Elle jouait avec beaucoup de nerf et d’action ; mais ses mains couraient sur le clavier sans qu’elle en eût conscience.

Raoul sortit pour prendre l’air avec un de ses amis. Pierre l’entendit qui disait : — Regarde donc ma sœur ; ne dirait-on pas d’un automate ?

— Est-ce qu’elle ne rit jamais plus que cela ? reprit son interlocuteur.