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DU TOUR DE FRANCE.

— Le royalisme a fait bien des phrases emphatiques là-dessus ; mais le Carbonarisme a bien prouvé que le poignard n’était dans ses mains qu’un signe de ralliement inoffensif. Son introduction dans nos mystères est respectable, en ce qu’elle nous vient du Carbonarisme italien, qui compte de plus sérieuses batailles et de plus nombreux martyrs que le nôtre. C’est le symbole de notre fraternité avec ces victimes, dont chacun de nous devrait faire chaque jour la commémoration religieuse dans son cœur, comme les catholiques font celle de leurs saints dans les prières ; et puisque nous ne pouvons les pleurer qu’en secret, il est peut-être bon d’avoir toujours devant les yeux cet emblème, qui nous rappelle leur mort violente et leur sublime fanatisme.

— Savez-vous, dit Pierre en retournant le poignard dans sa main et en l’examinant avec une sorte de tristesse, qu’il y a chez nous autres une superstition à propos de ces choses-là ? Le don d’un instrument à lame tranchante coupe l’amitié, suivant les uns, et porte malheur, suivant les autres, à celui qui l’a reçu ou à celui l’a donné.

— Je ne crois pas à cela, quoique ce soit une idée poétique.

— Ni moi non plus, et pourtant… Mais qu’est-ce que ce chiffre gravé à jour sur la lame ?

— C’est le vôtre à présent. Autrefois ce fut celui d’un de mes ancêtres auquel ce poignard appartint. Il se nommait Pierre de Villepreux ; n’est-ce pas ainsi que vous vous nommez aussi quand vous réunissez votre nom de baptême à votre nom de compagnon ?

— Il est vrai, dit Pierre en souriant ; avec cette différence que vos ancêtres donnèrent leur nom au village, et que le village me l’a cédé.

— Vos ancêtres étaient serfs, et les miens soldats ;