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LE COMPAGNON

rage ! Donnez-moi donc des nouvelles du vieux jacobin de serrurier qui a tant scandalisé votre ancien élève le capitaine ! et de votre Dignitaire, pour lequel j’ai autant d’estime et de respect que si j’étais son fils ! Parlez-moi de tous nos amis ! Je ne vous demande rien sur le Corinthien : on vient de m’en parler au château avec tant d’éloges, que je ne serais pas étonné de lui voir incessamment une brillante fortune. Toute la famille de Villepreux en a la tête tournée. On m’a déjà montré ses sculptures, et j’en suis plus charmé que surpris. J’avais bien pressenti, en le voyant, le grand artiste, l’homme de génie.

— Vous avez, répondit Pierre, un excès de bienveillance qu’on prendrait pour de l’ironie, si l’on ne se disait pas qu’on n’en vaut pas la peine. Faites un peu trêve à vous ces compliments, et dites-moi tout de suite si je puis vous être bon, dans ce pays-ci, à quelque chose qui vous concerne personnellement. Je ne pense pas que vous ayez interrompu la promenade que vous faisiez tout à l’heure pour parler avec moi de choses oiseuses ; et quant à la politique, vous savez que je n’y comprends rien.

— Vous maniez la plaisanterie à merveille, maître Pierre, et si j’étais un enfant je me laisserais déconcerter. Mais je suis habitué à lire dans les consciences ; je suis une espèce de confesseur, et je puis dire que j’en ai confessé de plus méfiants que vous. Vous prétendez ne rien comprendre à la politique ? Certes, si vous jugez celle qui se fait aujourd’hui par les étranges divagations que nous avons entendues dernièrement à notre souper chez le Vaudois, vous devez avoir pitié de nous tous. Mais j’espère pourtant que vous ne me confondez pas tout à fait avec les autres.

— Les autres sont vos amis, vos associés, je dirais vos complices, si j’étais royaliste. Comment pouvez-vous en faire aussi bon marché avec moi que vous ne connaissez pas ?