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LE COMPAGNON

— Un peu. Mais quand ils ont vu que nous n’avions aucune peur, ils ont quitté la table en disant que le tort était de leur côté, parce que, quand on s’assied auprès des manants, on doit s’attendre à quelque éclaboussure. Si je n’avais retenu de force le Berrichon, je crois qu’il aurait fallu se battre. J’eusse été au désespoir que pareille chose arrivât par suite d’une conversation où vous aviez été nommée.

Yseult sourit d’un air de remerciement, et garda le silence pendant quelques instants. Tout ce que Pierre souffrit dans l’attente de ses réflexions est impossible à exprimer. Enfin elle prit la parole, et lui dit d’un air sérieux :

— Voyons, maître Pierre, pourquoi étiez-vous indigné de l’accusation portée contre moi ? Le fait d’avoir voulu me marier avec un petit précepteur vous paraîtrait-il si honteux et si criminel qu’il fallut, pour le nier, s’exposer à faire un mensonge ?

Pierre pâlit et ne répondit point. Il n’écoutait nullement la question pleine de clarté qui lui était adressée ; il ne songeait qu’à cette passion dont on semblait lui faire l’aveu, et qui le précipitait du ciel en terre.

— Allons, reprit mademoiselle de Villepreux avec ce ton bref et un peu absolu qui rappelait, disait-on, celui de l’Empereur, il faut me répondre, maître Pierre. Je tiens à ma réputation, voyez-vous, et je désire l’établir clairement dans l’esprit des personnes que j’estime. Pourquoi avez-vous nié que j’eusse aimé un professeur de latin ? Dites !

— Je ne l’ai pas nié. J’ai dit simplement que toute espèce de supposition sur certaines personnes était impertinente et déplacée de la part de certaines gens.

— Cela est bien aristocratique, monsieur Pierre ; je ne vais pas si loin que vous : je suis, vous le savez, pour la liberté de la presse, pour le libre vote, pour la liberté de