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— Pas même avec moi ! dit Amaury d’un ton de reproche.

— Je comptais sur la Providence, qui nous rassemble aujourd’hui, et j’éprouve un si grand besoin de vivre près de toi que je ne comprends pas de plus douce joie que celle de t’emmener, si je puis. Mais écrire à ceux qu’on aime quand on souffre n’est pas toujours un soulagement. Bien au contraire, il est certaines situations morales où l’on n’ose pas s’exprimer, de peur de se décourager soi-même ou de décourager celui qui vous est cher. Aurais-je pu d’ailleurs te faire comprendre une mélancolie que je ne comprends pas moi-même ? Tu aurais eu sur mon compte les mêmes soupçons que Vaudois exprimait tantôt. Une lettre ne peut jamais remplacer l’épanchement d’une entrevue.

— Cela est vrai, dit Amaury ; mais si ta conduite est naturelle en ceci, la tristesse qui l’a dictée est de plus en plus étrange à mes yeux. Je t’ai toujours connu grave, réfléchi, sobre et fuyant le tumulte ; mais je te voyais si cordial, si bienveillant, si ardent à l’amitié, que je ne conçois pas ta sauvagerie actuelle et l’espèce d’éloignement que tu témoignes pour ton Devoir. Aurais-tu subi quelque injustice ? tu sais qu’en pareil cas tu as droit à une réparation. On assemble le conseil, on expose ses griefs, et le chef de la société prononce équitablement.

— Je n’ai eu, au contraire, qu’à me louer de mes compagnons, répondit Pierre. J’estime presque tous ceux que j’ai connus particulièrement, et j’en aime ardemment plusieurs. Je crois que mon Devoir est le mieux organisé et le plus honorable de tous, et c’est pour cela qu’après un certain examen des coutumes et des règlements, je l’ai embrassé de préférence aux autres, où il m’a semblé voir des usages moins libéraux, une civilisation moins avancée. Il est possible que je me sois trompé,