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— En ce cas, vous n’êtes pas compagnon ? reprit l’étranger d’un ton plus arrogant encore ; pourquoi vous permettez-vous de porter la canne ?

— Je suis compagnon, répondit Pierre avec beaucoup de sang-froid, et vous prie de ne pas l’oublier maintenant que vous le savez.

— Qu’entendez-vous par là ? avez-vous dessein de m’insulter ?

— Nullement, mais j’ai la ferme résolution de vous répondre si vous me provoquez.

— Si vous avez du cœur, pourquoi vous soustrayez-vous au topage ?

— J’ai apparemment des raisons pour cela.

— Mais savez-vous que ce n’est pas la manière de répondre ? Entre compagnons on se doit la déclaration mutuelle de la profession et de la société. Voyons, ne sauriez-vous me dire à qui j’ai affaire, et faut-il que je vous y contraigne ?

— Vous ne sauriez m’y contraindre, et il suffit que vous en montriez l’intention pour que je refuse de vous satisfaire.

L’étranger murmura entre ses dents : — Nous allons voir ! et il serra convulsivement sa canne entre ses mains. Mais au moment d’entamer le combat, il s’arrêta, et son front s’obscurcit comme traversé d’un souvenir sinistre.

— Écoutez, lui dit-il, il n’est pas besoin de tant dissimuler, je vois que vous êtes un gavot.

— Si vous m’appelez gavot, répondit Pierre, je suis en droit de vous dire que je vous connais pour un dévorant, et telles sont mes idées, que je ne reçois pas plus votre épithète comme une injure que je ne prétends vous injurier en vous donnant l’épithète qui vous convient.

— Vous voulez politiquer, repartit l’étranger, et je vois à votre prudence que vous êtes un vrai fils de Salomon.