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crépus, aux joues cramoisies, à la voix tonnante, au rire éclatant et brutal.

Isidore arriva à la poste la plus voisine du château vingt minutes avant son père. C’était là que la famille devait relayer pour la dernière fois. Son premier soin fut de demander une chambre dans l’auberge et de défaire sa valise pour mettre ordre à sa toilette. Il endossa la veste de chasse la plus ridicule du monde, quoiqu’il l’eût fait copier sur celle d’un jeune élégant de bonne maison avec lequel il avait couru le renard dans les bois de Valençay. Mais ce vêtement court et dégagé devenait grotesque sur une taille carrée et déjà chargée d’embonpoint. Sa chemise de percale rose, sa chaîne d’or garnie de breloques, le nœud arrogant de sa cravate, ses gants de daim blanc crevassés par l’exubérance d’une peau rouge et gonflée, tout en lui était déplaisant, impertinent et vulgaire.

Il n’en était pas moins content de sa personne, et pour se mettre en verve, il commença par embrasser la servante de l’auberge ; puis il battit son cheval à l’écurie, jura à casser toutes les vitres du village, et avala plusieurs bouteilles de bière entrecoupées de verres de rhum, tout en débitant ses gasconnades accoutumées aux oisifs de l’endroit qui l’écoutaient, les uns avec admiration, les autres avec mépris.

Enfin, vers le coucher du soleil, on entendit claquer les fouets des postillons sur la hauteur ; M. Lerebours courut à l’écurie faire harnacher les chevaux qui devaient au plus vite conduire avant la nuit l’illustre famille à son gîte seigneurial. Lui-même fit brider son bidet, afin d’être prêt à escorter ses maîtres ; et le front tout en sueur, le cœur palpitant d’émotion, il se trouva sur le seuil de l’hôtellerie au moment où la berline s’arrêta.

— Allons vite, les chevaux ! cria d’une voix encore ferme le vieux comte en s’avançant à la portière. — Ah !