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en équilibre. Mais cette pression fut électrique. Joséphine devint rouge comme une fraise, et le Corinthien eut un accès de timidité subite et de malaise insurmontable. Il eut hâte de la reconduire à sa place, aussitôt que la contredanse finit, et de s’éloigner avec une sorte d’effroi. Mais le violon n’eut pas plus tôt donné le signal de la contredanse suivante qu’il se retrouva, comme par magie, auprès de madame des Frenays, et que la main de celle-ci était dans la sienne. De quelle formule s’était-il servi pour l’inviter de nouveau, et comment l’avait-il osé ? Il ne le sut jamais. Un nuage flottait autour de lui, et il agissait comme dans un rêve.

Depuis ce jour, le Corinthien fit danser la marquise tous les dimanches, et plutôt trois fois qu’une. Son exemple encouragea les autres, et Joséphine ne manqua plus une contredanse. Quand le Corinthien ne l’invitait pas, il était toujours son vis-à-vis, et leurs mains se touchaient, leurs haleines se confondaient, et leurs regards se cherchaient pour se fuir et pour se chercher encore. Tous ces petits prodiges s’opèrent si spontanément quand on aime la danse, qu’on n’a pas le temps de se raviser, et que la galerie n’a pas le temps de s’en apercevoir.

Yseult ne dansait jamais, quoique son grand-père l’y engageât souvent, et que la marquise, un peu honteuse du plaisir qu’elle-même y prenait, eût voulu l’entraîner dans le tourbillon champêtre. Était-ce dédain, était-ce nonchalance de la part de la jeune châtelaine ? Pierre Huguenin, toujours placé à une assez grande distance d’elle, et masqué soit par des groupes, soit par les buissons derrière lesquels il errait lentement, avait souvent les yeux attachés sur elle, et se demandait quelles pensées remplissaient ce front impénétrable, où tant d’énergie se cachait derrière tant de langueur. Mademoiselle de Villepreux avait toujours l’air d’une personne fatiguée qui