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gard vers sa cousine. Il lui semblait qu’elle devait surprendre, tôt ou tard, un roman analogue entre elle et Pierre Huguenin, et cette fantaisie de son imagination lui donnait du courage. Pourtant la paisible Yseult lui parlait de Pierre avec tant de calme et franchise, qu’il n’y avait guère d’illusion à se faire de ce côté-là.

Mais si Joséphine comprenait qu’on pût et qu’on dût faire attention à Pierre, elle n’en avait pas moins accordé la préférence au jeune Amaury. On pouvait se familiariser plus aisément avec celui-ci, que l’on considérait un peu comme un enfant. On le nommait le petit sculpteur ; on s’entretenait de l’avenir qu’on lui rêvait ; tous les jours on allait le voir travailler ; le comte le tutoyait, l’appelait son enfant, et lui prenait la tête pour le présenter aux personnes qui venaient lui rendre visite et qu’il conduisait à l’atelier. On remarquait la largeur et l’élévation de son front ; un docteur du pays, partisan de Lavater et de Gall, voulait mouler son crâne. Enfin il avait un succès plus brillant que maître Pierre, avec qui l’on ne pouvait pas jouer de même. Il est triste de le dire, mais il n’en est pas moins vrai que la plupart des femmes du monde attendent, pour donner la préférence à un homme, le jugement qu’en porteront les salons ; et le plus goûté est, selon elles, le plus accompli. Joséphine avait été trop sensible aux séductions de la vanité pour ne pas subir un peu ce travers. Elle s’était donc monté la tête pour le bel enfant, et ne pouvait plus s’en cacher. Les choses en étaient venues à ce point qu’on l’en plaisantait tout haut dans la famille, et qu’elle se livrait à la plaisanterie de très-bonne grâce. Elle la provoquait même au besoin ; ce qui était une assez bonne manœuvre pour empêcher que la remarque ne tournât au sérieux. Voilà pourquoi sa cousine se permettait quelquefois d’en rire avec elle, ne pensant nullement qu’elle pût l’affliger par ce qui lui