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de temps en temps se placer auprès d’elle elle trouverait l’occasion d’être affable avec Pierre Huguenin, et de lui faire oublier ce qu’elle appelait intérieurement son impertinence. Il est certain qu’elle le désirait, et que dès ce jour elle ne le vit plus passer sans éprouver un peu de honte. Il y avait dans cette souffrance une excessive candeur et une sorte de scrupule religieux où le plus austère casuiste n’aurait rien trouvé à reprendre, mais dont certaines femmes du monde se seraient moquées, scandalisées peut-être.

Quoi qu’il en soit, elle ne trouva point l’occasion qu’elle cherchait. Pierre, dès qu’il l’apercevait, sortait de l’atelier, ou se tenait si loin et se plongeait tellement dans son travail, qu’il était impossible d’échanger avec lui un mot, un salut, pas même un regard. Yseult comprit ce ressentiment, et n’osa plus revenir sur le palier tant que dura le dessin de Joséphine. Ainsi, chose étrange ! il y avait un secret des plus délicats entre mademoiselle de Villepreux, la fille du seigneur, et Pierre Huguenin, le compagnon menuisier, un secret qui se cachait dans les fibres du cœur plus qu’il ne se formulait dans les pensées, et que chacun d’eux savait bien devoir occuper l’autre, quoique ni l’un ni l’autre n’eût consenti à se rendre compte de cette douloureuse sympathie.

Il se passait bien autre chose, vraiment, dans l’esprit de la marquise ; et je ne sais comment m’y prendre, ô respectable lectrice ! pour vous le faire pressentir. Elle dessinait, et son dessin ne finissait pas. Yseult, qui était fort adonnée à la lecture, à la rédaction analytique d’ouvrages assez sérieux pour son sexe et pour son âge, se tenait une partie de la journée dans son cabinet, dont la porte restait ouverte entre elle et sa cousine, mais dont la tapisserie la dérobait aux regards des ouvriers. Elle n’allait plus sur le palier, et regardait le dessin de Joséphine