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une mauvaise parole, et, parce que j’en souffre, voilà que je vous fais souffrir. Je vous assure que je souffre plus que vous dans ce moment.

— N’en parlons plus, dit la marquise en embrassant les mains de sa cousine ; un mot de vous, Yseult, me fera toujours tout oublier.

Yseult s’efforça de sourire, mais il lui resta un poids sur le cœur. Elle se disait que si l’artisan avait entendu le mot cruel qu’elle se reprochait, elle ne pourrait jamais l’effacer de son souvenir ; et, soit la fierté mécontente, soit l’amour de la justice, elle sentait une blessure au fond de sa conscience ; elle n’était pas habituée à être mal avec elle-même.

La marquise cherchait à la distraire.

— Voulez-vous, lui dit-elle, que je vous montre le dessin que j’ai fait hier ? vous me le corrigerez.

— Volontiers, répondit Yseult. Et lorsque le dessin fut devant ses yeux : — Vous avez eu, lui dit-elle, une bonne idée de faire la chapelle avant qu’elle ait perdu son caractère de ruine et son air d’abandon. Je vous avoue que je regretterai ce désordre où j’avais l’habitude de la voir, cette couleur sombre que lui donnaient la poussière et la vétusté. Je regrette déjà ces voix lamentables qu’y promenait le vent en pénétrant par les crevasses des murs et les fenêtres sans vitres, les cris des hiboux, et ces petits pas mystérieux des souris qui semblent une danse de lutins au clair de la lune. Cet atelier me sera bien commode ; mais, comme tout ce qui tend au bien-être et à l’utile, il aura perdu sa poésie romantique quand les ouvriers y auront passé.

Yseult examina le dessin de sa cousine, le trouva assez joli, corrigea quelques fautes de perspective, l’engagea à le colorier au lavis, et l’aida à dresser son chevalet sur le palier de la tribune. Elle espérait peut-être qu’en venant