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tout interdit de cette bonté familière à laquelle il ne s’attendait pas.

— Si ! si ! décrochez-la, dit Yseult en se levant. Elle décrocha elle-même la gravure pour la lui remettre. Vous sauriez bien copier ce cadre ? ajouta-t-elle en lui faisant remarquer le cadre de bois sculpté de la madone.

— C’est de l’ébénisterie, répondit-il, et pourtant je crois que je pourrais en faire un semblable.

— En ce cas, je vous en demanderai plusieurs. J’ai ici quelques vieilles gravures très-belles. En parlant, elle ouvrit le carton où elles étaient, et mit Pierre à même de les regarder.

— Voici celle que j’aime le mieux, dit-il en s’arrêtant sur un Marc-Antoine.

— Vous avez bien raison, c’est la meilleure, répondit Yseult, qui prenait un plaisir candide à remarquer le bon sens et le jugement élevé de l’artisan.

— Mon Dieu ! que cela est beau ! reprit-il ; je ne m’y connais pas, mais je sens que cela est grand ! On est heureux de pouvoir regarder souvent de belles choses.

— Elles sont rares partout, dit Yseult avec le désir de détourner l’amertume secrète que lui révélait cette exclamation.

Pierre regardait toujours la gravure. Il l’avait admirée, sans doute, mais il pensait à autre chose. Chaque seconde qui s’écoulait dans cette apparence d’intimité avec l’être qui commençait à bouleverser son esprit passait sur lui comme un siècle de bonheur qu’il savourait en tremblant. Le temps n’avait plus de valeur réelle en cet instant ; ou, pour mieux dire, cet instant se détachait pour lui de la vie réelle, comme il nous semble que cela arrive dans les songes.

— Puisqu’elle vous plaît tant, dit Yseult attendrie dans son âme d’artiste, prenez-la, je vous la donne.