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prince ? Dans tous les arts, ce qu’il y a de plus difficile à conserver c’est la grâce naturelle, et c’est là ce que nous chérissons dans les ouvrages du temps passé. Certainement ils ne sont pas tous bons, et dans la sculpture en bois de notre chapelle il y a une complète ignorance des principes et des règles. Pourtant il est impossible de les regarder sans plaisir et sans intérêt. C’est que les ouvriers de cette époque, et particulièrement l’artisan inconnu qui a fait ce travail, avaient le sentiment du beau et du vrai. Il y a bien là des têtes trop grosses, des bras et des jambes dans un mouvement forcé et d’une proportion défectueuse ; mais ces têtes ont toutes une expression bien sentie, ces bras ont de la grâce, ces jambes marchent. Tout cela est plein de force et d’action. Les ornements sont simples et larges. En un mot, on voit là le produit des facultés naturelles les plus heureuses, et cette sainte confiance qui fait le charme de l’enfance et la puissance de l’artiste.

Le vieux comte regarda sa fille, et malgré lui il regarda Pierre, poussé par l’invincible besoin de faire partager à quelqu’un le plaisir qu’il éprouvait à l’entendre bien parler. Un sourire de bonheur et de sympathie embellissait le visage déjà si beau du jeune artisan. Mademoiselle de Villepreux s’en aperçut-elle ? Le comte vit que ce qu’elle venait de dire avait été parfaitement compris, et il n’en put douter lorsque Pierre s’écria :

— Je pourrai redire tout cela mot à mot au Corinthien.

— Le Corinthien justifie son surnom, dit le comte. Je m’intéresse à ce garçon-là. Où a-t-il été élevé ?

— Comme nous tous, sur les chemins, répondit Pierre. Nous travaillons et nous étudions en nous arrêtant de ville en ville. Nous avons nos ateliers et nos écoles, où nous sommes élèves les uns des autres. Mais quant aux dispo-