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agréable ou antipathique, mais cette gravité étrange dans une si jeune fille détruisait toutes ses notions et dérangeait tous ses rêves. Il ne savait pas s’il devait la considérer comme un enfant malade, ou comme une organisation à jamais frappée d’apathie et de langueur. Et puis il se dit qu’il ne la connaîtrait jamais davantage, qu’il ne la reverrait peut-être pas, qu’il n’aurait aucune occasion d’échanger un second regard avec elle ; et il se sentit triste, comme s’il eût perdu la protection de quelque puissance idéale sur laquelle il aurait compté sans la connaître.

Cependant le comte s’était approché des travaux. Il en examina attentivement toutes les parties :

— Cela est parfaitement exécuté, dit-il, et je ne puis que vous donner des éloges ; mais, êtes-vous bien sûrs, messieurs, de la qualité de votre bois ?

— Certainement il ne vaut pas, répondit Pierre, celui de l’ancienne boiserie. Dans deux cents ans il sera bon, et l’ancien ne le sera peut-être plus. Mais ce dont je puis répondre, c’est que le mien ne jouera pas de manière à compromettre l’ensemble. Si une planche se contracte, si un panneau vient à éclater, ce qui n’est pas probable, je le réparerai à mes frais et avant qu’on en ait eu la vue choquée.

— Mais si vous vous étiez trompé sur toute la qualité de la matière ? dit le compte ; si l’ouvrage entier était à recommencer ?

— Je le recommencerais à mon compte, et je m’engagerais à fournir de meilleur bois, répondit Pierre.

— En ce cas, dit le comte en se retournant vers sa fille comme pour la prendre à témoin, je crois qu’il faut avoir confiance et laisser faire la conscience et le talent des gens. À coup sûr, vous travaillez fort bien, messieurs, et je n’aurais pas cru qu’on pût reproduire aussi fidèlement les anciens modèles.