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L’espèce d’embarras avec lequel le Bon-Soutien répondit qu’il n’avait jamais eu que des affaires de commerce avec ce voyageur, joint au silence qu’il avait gardé pendant toute la discussion du souper, prouvèrent à Pierre qu’il était engagé plus qu’il ne pouvait l’avouer. Le prétexte dont il se servait pour motiver sa liaison avec cet agent de sociétés secrètes était trop invraisemblable pour laisser le moindre doute à cet égard. Pierre comprit qu’il ne devait pas interroger un homme lié par des serments ; et, feignant de se payer de ses défaites, il le quitta pour aider le Corinthien à réveiller le Berrichon, car on entendait déjà rouler au loin la patache qui devait les transporter à Villepreux. Avec beaucoup de peine, ils réussirent à mettre le compagnon sur pied ; et, après des adieux fraternels, l’Ami-du-trait et le Corinthien se séparèrent, l’un prenant avec le Berrichon la route de Villepreux, l’autre reprenant celle de Blois avec le Dignitaire et le vieux maître serrurier.

— Je crois, dit ce dernier en sortant du cabaret, qu’on a été plus loin qu’on ne voulait avec nous, ou qu’on nous a crus plus simples que nous ne sommes. N’importe, certaines choses, à moitié devinées, sont aussi sacrées que si elles étaient confiées tout à fait ; n’est-ce pas votre avis, pays Villepreux ?

— C’est une loi pour ma conscience, répondit Pierre Huguenin. Le Dignitaire garda un profond silence. Il était lié depuis longtemps, et peut-être faisait-il en cet instant des réflexions qui ne lui étaient pas encore venues. Ses deux compagnons eurent la délicatesse de lui parler d’autre chose.

Tandis qu’ils cheminaient vers la ville, le Vaudois, absorbé dans ses pensées, rangeait ses plats et ses bouteilles d’un air mélancolique. M. Achille Lefort, prétendu commis voyageur, en réalité membre du comité de re-