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tumes et les signes des Devoirs anciens. Ceux-ci les ont repoussés et ne les acceptent pas tous encore, s’attribuant un droit exclusif à porter les glorieux insignes et les titres sacrés de leurs prédécesseurs. Le Compagnonnage confère à l’initié une noblesse dont il est aussitôt fier et jaloux jusqu’à l’excès. De là des guerres acharnées entre les Devoirs, toute une épopée de combats et de conquêtes, une sorte d’Église militante, un fanatisme plein de drames héroïques et de barbare poésie, des chants de guerre et d’amour, des souvenirs de gloire et des amitiés chevaleresques. Chaque Devoir a son Iliade et son Martyrologe.

M. Lautier a publié à Avignon, en 1838, un poëme épique très-bien conduit sur les persécutions au sein desquelles le Devoir des cordonniers s’est maintenu triomphant. Il y a de fort beaux vers dans ce poëme ; ce qui n’empêche pas le barde prolétaire de faire des bottes excellentes, et de chausser ses lecteurs à leur grande satisfaction.

Il y aurait toute une littérature nouvelle à créer avec les véritables mœurs populaires, si peu connues des autres classes. Cette littérature commence au sein même du peuple ; elle en sortira brillante avant qu’il soit peu de temps. C’est là que se retrempera la muse romantique, muse éminemment révolutionnaire, et qui, depuis son apparition dans les lettres, cherche sa voie et sa famille. C’est dans la race forte qu’elle trouvera la jeunesse intellectuelle dont elle a besoin pour prendre sa volée.

L’auteur du conte qu’on va lire n’a pas la prétention d’avoir fait cette découverte. S’il est du nombre de ceux qui l’ont pressentie, il n’en est guère plus avancé pour cela, car il ne se sent ni assez jeune ni assez fort pour donner l’élan à la littérature populaire sérieuse, telle qu’il la conçoit. Il a essayé de colorer son tableau d’un reflet qui se laisse voir, mais qui ne se laisse guère saisir par les