Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/155

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mes qui tremblent au seul mot de conspiration, et qui prennent leur ombre pour un gendarme ?

— Je n’ai sujet de rien craindre, et je n’ai pas le caractère craintif, répondit Pierre.

— Mettez-vous donc à l’aise avec moi, reprit l’étranger, car vous voyez en moi un homme qui voyage pour étudier et connaître les hommes. Pénétré d’un ardent amour de l’humanité, j’étends à toutes les classes de la société l’ardeur de mes investigations ; et, dans toutes, je recherche les âmes nobles, les esprits éclairés. Quand je les rencontre sur mon chemin, j’éprouve donc le besoin de fraterniser avec elles.

— Ainsi, dit Pierre en souriant, vous exercez la profession de philanthrope ! Mais si vous procédez seulement comme vous venez de le dire, ce n’est pas une profession aussi utile que je la concevais ; car si vous ne recherchez que l’élite des hommes, ces gens-là n’ayant pas besoin d’être réformés, il en résulte qu’en les fréquentant sur votre passage vous voyagez absolument pour votre plaisir. À votre place, je croirais mieux employer mon temps en recherchant les hommes égarés, les esprits incultes, afin de les redresser ou de les instruire.

— Je vois que vous méritez votre réputation, reprit l’étranger en riant à son tour ; vous êtes un homme de raisonnement et de logique, et avec vous il faut prendre garde à tout ce qu’on dit.

— Oh ! ne croyez pas, dit Pierre avec douceur, que j’aie la prétention de discuter avec vous ; non, non, monsieur : quand j’interroge, c’est pour m’instruire.

— Eh bien, mon ami, sachez que je répands ma sollicitude sur tous les hommes. À ceux-ci le respect, à ceux-là la compassion ; à tous le dévouement et la fraternité. Mais ne vous semble-t-il pas que, dans le temps où nous vivons, ayant à lutter contre la tyrannie et la corruption