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concilier avec le droit de tous. Je sais que son cerveau intelligent eût pu s’élever à cette conception, telle qu’elle est entrée aujourd’hui dans les cœurs et dans les esprits d’élite. Mais il est à remarquer qu’à cette époque le principe du Saint-Simonisme (la première des doctrines modernes qui se soit popularisée sous le règne des Bourbons) ne s’était pas encore développé. Les germes d’une philosophie sociale et religieuse couvaient dans de secrets conciles ou s’élucubraient dans les méditations des économistes. Probablement Pierre Huguenin n’en avait jamais entendu parler ; mais un esprit droit et assez cultivé, une âme ardente, une imagination poétique, faisaient de lui un être mystérieux et singulier, assez semblable aux pâtres inspirés qui naissaient dans l’ancienne tradition avec le don de prophétie. On pouvait dire avec la Savinienne, qu’il était rempli de l’esprit du Seigneur ; car, dans la candeur de son enthousiasme, il touchait aux plus hautes questions humaines, sans savoir lui-même quelles étaient ces cimes voilées où son rêve l’avait porté. C’est pourquoi ses discours, dont nous ne pouvons vous donner ici que la substance sèche et grossière, avaient un caractère de prédication dont l’effet était grand sur des esprits simples et sur des imaginations encore vierges. Il leur conseilla de tenter, au lieu d’une épreuve douteuse, une paix honorable. Les Dévorants, las de querelles, commençaient à s’adoucir. Il serait peut-être plus facile qu’on ne pensait de les amener à reconnaître le droit des Enfants de Salomon. Pourquoi, si ces derniers étaient capables d’écouter la raison, de comprendre la justice, les Dévorants ne le seraient-ils pas aussi ? N’étaient-ils donc pas des hommes, et, au risque de n’être pas écouté, ne devait-on pas essayer de les ramener à des sentiments humains plutôt que d’envenimer leur haine par un défi d’amour-propre ? Enfin, ne serait-on pas en-